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Société et tradition
aux Comores |
La Femme Comorienne de
la tradition à l'intégration
mise à jour 04/02/2006 |
La femme dans le système social traditionnel
comorien |
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Dès
sa naissance, la fille comorienne suscite l’attention de tout son entourage
aussi bien masculin que féminin (père, mère, frères et oncles). Elle doit
répondre aux attentes de sa famille et aux exigences d’une société dont le
moindre dérapage peut compromettre son avenir. Elle doit faire la preuve
qu’elle sera une bonne épouse, une bonne mère. Ce poids familial et cette
pression sociale auraient comme objectif inavoué la satisfaction d’une frange
de la population, les hommes. De ce fait, sa situation socio-familiale fait
d’elle un « bien précieux » qu’il faut à tout prix préserver.
Contrairement à la plupart des femmes musulmanes, la comorienne est
propriétaire de la résidence familiale. Sur ce sujet et comme dans d’autres,
les systèmes matrilinéaires et matrilocaux qui caractérisent globalement la
société comorienne, l’emportent sur la tradition musulmane qui recommande
plutôt l’inverse. Cette situation qui donne à la femme comorienne un pouvoir
implicite de divorce – étant donné que c’est elle qui garde le foyer conjugal
en cas de divorce – place celle-ci dans un rôle on ne peut plus confortable.
La résidence conjugale est un souci familial dès qu’un enfant de sexe féminin
naît. Un devoir qui incombe au frère, à l’oncle maternel, à défaut du père. Le
nombre impressionnant de maisons en cours de construction à l’intérieur ou
autour des villes et villages en témoignent. L’anthropologue française, Sophie
Blanchy affirme sans exagération que « ces murs qui s’élèvent sont autant
de fillettes qui grandissent ».
Quant à l’éducation des enfants et Dieu sait que la femme comorienne en fait
beaucoup (nous avons un des taux de fécondité les plus élevés au monde soit
5,1 enfants par femme), on le dira pas assez, c’est elle qui s’en occupe. Dans
l’archipel, c’est essentiellement la mère qui éduque, souvent par l’absence
totale du père, notamment pour des raisons de divorce. S’il y en a un des
parents qui se « sacrifie » pour l’éducation des enfants, c’est bien la mère
et non le père. Ainsi nous devons tous ou presque notre éducation à nos mères
voire à nos grands-mères maternelles pour bien des cas.
Le « grand mariage » pour ce qui concerne la Grande Comore et le
mariage tout simplement pour le reste du pays, lui confère un honneur social
qui fait d’elle une femme respectée. Un respect qui est loin de rivaliser avec
celui qu’impose son conjoint, mais qui existe tout de même. Elle est aussi au
centre de l’honneur familial. A ce sujet, Sophie Blanchy, écrit : « L’honneur
des hommes, de la famille, est dans la vertu des femmes ». C’est en ce
sens qu’elle est une source de déshonneur potentiel qu’il faudra éduquer,
surveiller pour éviter une situation plus qu’embrassante aux yeux de la
société. Elle est en fait la gardienne de l’honneur familial.
Cependant, si les avantages susmentionnés font passer les Comores pour un « oasis »
et la femme comorienne pour une « chouchoute » vu le statut général de
la femme dans les sociétés arabo-musulmanes, ce système coutumier connaît
aussi ses limites qui privent bien de droits à la femme comorienne. Observons
l’enseignement par exemple. Depuis quelques temps, filles et garçons ont
théoriquement les mêmes chances de réussir car ils sont tous ou presque
scolarisés en masse à l’école primaire. Mais force est de constater qu’arriver
au lycée, la tendance se déséquilibre. Le nombre des filles admises au
baccalauréat est considérablement inférieur à celui des garçons. L’entrée à
l’Université conserve évidement cette tendance. Et ceci quelles que soient les
disciplines. Les raisons de cette disparité sont multiples. Mais la
fondamentale et non la moindre, est l’échec scolaire. Celui-ci s’explique en
partie par les responsabilités familiales qui lui incombent depuis son jeune
âge (tâches ménagères, « baby-sitter », …) pendant que son frère aîné
ou cadet n’a aucune contrainte pour réviser ses leçons, faire ses devoirs ou
jouer au foot.
En somme, la fille comorienne serait victime de « trop d’amour » de la
part de l’homme comorien, pensent certains. Cet « excès d’amour » est
véhiculé par le système traditionnel caractérisé notamment par ce fameux « grand
mariage ». Un système coutumier en mal de réforme et qui en aurait
pourtant bien besoin. Ce « grand mariage » élaboré par un système
d’inspiration féodale, place la femme dans une situation des plus critiques.
On lui impose un système endogamique qui décide tout à sa place jusqu’au choix
de son conjoint, souvent fait par le père, le frère ou l’oncle.
Cependant, on peut observer de nettes améliorations ces dernières décennies.
Le régime révolutionnaire d’Ali Soilih (1975 – 1978) par exemple, qui a donné
la parole aux parias de l’ancien système féodal (jeunes et femmes) a largement
amorcé un début de transformation de la société. Cette transformation est
certainement lente, mais irréversible. Rien ne semble l’arrêter.
L’intégration des femmes ou l’éducation des
hommes ? |
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Quant à la situation de la femme comorienne sur le
sol français, elle est des plus surprenantes suivant les villes. La réalité
quotidienne nous montre combien l’intégration des femmes doit passer par
l’éducation des hommes. Dans une ville comme Lyon, les réunions publiques de
la communauté restent jusqu’à ce jour une affaire d’hommes. La femme n’a pas
encore droit de cité. Néanmoins, malgré la translation du système traditionnel
implanté par la première vague de migrants, une nouvelle génération résiste
tant bien que mal à cet état de fait. Nous assistons donc à une diaspora à
deux vitesses. Celle qui essai de marier les deux cultures en vue de tirer le
meilleur des deux parties représentées globalement par les milieux scolaires
et universitaires et celle qui s’accroche littéralement à l’orthodoxie et qui
évite tout compromis pour l’émancipation de la femme. Au moment où les
rencontres publiques et/ou communautaires excluent d’une manière
quasi-systématique la femme, les réunions étudiantes se démarquent nettement
de cette pratique. Si les garçons restent toutefois encore majoritaires (pour
la raison évoquée plus haut), les filles n’en sont pas moins présentes. Elles
sont présentes et actives. Il suffit d’observer deux exemples : deux filles
sont respectivement Présidentes et vice-présidentes des Associations des
Etudiants comoriens de Marseille (Djuwa) et de Lyon, A.C.E.R.A (LAMHA). Nous
trouvons également des femmes dans le Conseil d’Administration de
l’Organisation humanitaire (SUHA).
Ces exemples encourageants, observables dans le monde étudiant et ailleurs ne
doivent pas cacher les difficultés que traversent une bonne partie de nos
sœurs et mères en matière d’intégration. Des difficultés qui concernent
essentiellement la femme comorienne venue rejoindre son conjoint, souvent
paysan ou ouvrier avant sa venue en France ; donc souvent analphabète (en
français) et du même coup incapable de s’intégrer lui-même.
Imaginer un instant que cet homme peut être pour quelque chose dans
l’intégration de sa femme, paraît illusoire. Je pense qu’étudier les démarches
d’intégration de la femme comorienne doit en partie passer par celle des
hommes. C’est à ce niveau, je crois, que se situe le problème. Et il n’est pas
évidement facile à résoudre pour bien de raisons.
D’abord, parce que plus de la moitié des Comoriens de France, n’ont pas
échappé à la précarité dont la population immigrée en général fait les frais.
Ce n’est pas un hasard si les fortes concentrations de Comoriens sont à
Vaulx-en-Velin, Vénissieux, Marseillais Nord, …
Ensuite, une bonne partie d’entre eux, n’ont pas échappé au statut de sans
papiers. Ce qui aggrave d’avantage leur situation.
Enfin, à ces problèmes communs s’ajoutent chez la femme le poids des tâches
ménagères qui restent, disons-le, malgré le fait que nous vivons en occident,
son domaine réservé. L’image traditionnelle du chef de famille, incarné par
l’homme est loin d’être assouplie en dépit des années passées en Occident.
Demandez aux hommes combien parmi eux font le ménage chez eux ? Et combien de
femmes manifestent le désir de s’intéresser à la vie publique et par peur des
hommes se sont résignées ?
Ne nous trompons pas. La femme comorienne n’est pas de nature non intégrable.
Nombreuses sont ses initiatives qui prouvent le contraire. Elle a tous les
atouts pour s’adapter et s’intégrer. Et si on lui donne la moindre
possibilité, elle l’exploite avec détermination. L’Association des femmes
comoriennes de France (wumodja) en est pour moi, une illustration
éloquente. Les femmes comoriennes de Vaulx-en-Velin ne sont elles pas à
l’origine de l’organisation tous les ans de la journée mondiale de la femme
dans cette ville ?
C’est l’homme comorien, peut-être par « peur » (je ne sais de quoi) qui
lui met des battons dans les roues. Si c’est la religion qui exploite cette « peur »,
je pense que les cadres femmes de notre pays nous ont prouvées - et sans faire
de bruit – qu’une comorienne peut remplir ses responsabilités publiques sans
pour autant faillir à sa condition de femme musulmane. Je pense à ces
Magistrates, à ces enseignantes de toutes disciplines confondues, à ces
médecins, …
Ainsi, une intégration comme une émancipation douce de la femme comorienne
devrait passer par celle de son entourage masculin. Sinon, elle se fera d’une
façon « violente » lorsque nos mères, nos sœurs et nos femmes prendront
conscience de la condition d’ « exclues » que nous leur avons imposée.
Cela pourrait devenir explosif. Aux hommes de choisir.
La femme est sans nul doute la matrice de la société comorienne. Les Comores
du siècle prochain, dépendront largement de son émancipation car son rôle de
mère et d’éducatrice lui confère une responsabilité importante en matière de
développement social. La multiplication ici et là d’associations féminines
caritatives à l’intérieur comme à l’extérieur du pays en témoigne.
En effet, intégration ou émancipation, - entendons nous bien -, je ne rêve pas
d’une femme comorienne qui tournerait le dos à sa civilisation. Loin de là. Je
rêve plutôt d’une femme qui, tout en restant comorienne saura faire face aux
exigences et aux défis multiples de son temps. Cette émancipation est
nécessaire car comme l’a écrit Karl Marx : « Le degré de l’émancipation
féminine est la mesure naturelle du degré de l’émancipation générale ».
Mes hommages à toutes les femmes de la planète et aux Comoriennes en
particuliers. Que le 21ème siècle puisse « s’accorder » au
masculin et au féminin !
Abdou-Salam SAADI
abdousalam@gmail.com
Article publié dans Echo des
Comores (Journal de l’Association des Comoriens Etudiant en Rhône-Alpes (ACERA),
n°001 de Nov. – Déc. 1999.
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